Relevant paintings: "Still Life with French Novels and a Rose," Vincent van Gogh [Enlarge]
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Mon cher Theo,
Merci de ta lettre et du billet de 100 fr. y inclus. J'espère
bien qu'ainsi que tu es porté à le croire, Tersteeg viendra à Paris
sous peu. Ce serait à désirer dans ces circonstances dont tu parles,
où ils sont tous aux abois et se trouvent gênés. Je trouve très
intéressant ce que tu écris de la vente Lançon, et de
la maîtresse du peintre. Il a fait des choses d'un bien grand
caractère, son dessin m'a fait bien souvent penser à celui de
Mauve. Je regrette de ne pas avoir vu l'exposition de ses études,
ainsi que je regrette bien aussi de ne pas avoir vu l'exposition Willette.
Que dis-tu de la nouvelle que l'empereur Guillaume est mort ?
Est-ce que cela hâtera des événements en France, et est-ce que Paris
va rester tranquille ? On peut en douter; et quels seront les effets
de tout cela sur le commerce des tableaux ? J'ai lu qu'il paraît
qu'il soit question d'abolir les droits d'entrée des tableaux en
Amérique, est-ce vrai ?
Néanmoins les artistes ne trouveront pas mieux que de se mettre
ensemble, de donner leurs tableaux à l'association, de partager le prix
de vente, de telle façon du moins que la société garantisse la possibilité
d’existence et de travail de ses membres.
Si de Gas, Claude Monet, Renoir, Sisley, C. Pissarro, prenaient
l'initiative disant: Voici à nous 5 nous donnons chacun 10
tableaux (ou plutôt nous donnons chacun pour une valeur de 10 000 fr.
valeur estimée par les membres experts, par exemple Tersteeg et
toi, que la société s'adjoint, lesquels experts également versent un capital
en tableaux) puis nous nous engageons en outre de donner
par an pour une valeur de...
Et nous vous invitons, vous autres, Guillaumin, Seurat, Gauguin,
etc., etc., à vous joindre à nous (vos tableaux passant au
point de vue valeur par la même expertise).
Alors les grands impressionnistes du Gd. Bd.[Grand Boulevard] donnant
des tableaux devenant propriété générale, garderaient leur
prestige, et les autres ne pourraient plus leur reprocher de
garder pour eux les avantages d'une réputation, acquise sans aucun
doute par leurs efforts personnels et par leur génie individuel
en premier lieu, mais cependant en deuxième lieu réputation grandissante,
solidifiée et maintenue actuellement aussi par les tableaux de tout
un bataillon d'artistes, qui jusqu'à présent travaillent dans une
dèche continuelle.
Quoi qu'il en soit, il est bien à espérer que la chose se fasse,
et que Tersteeg et toi deviennent les membres experts de la société
(avec Portier peut-être ?).
J'ai encore deux études de paysages, j'espère que le travail va
marcher ferme, et que dans un mois je te ferai parvenir un premier envoi,
je dis dans un mois, parce que je ne veux t'envoyer
que le meilleur, et parce que je veux que cela soit sec,
et parce que je veux en envoyer une douzaine au moins à la fois à
cause des frais de transport.
Je te félicite de l'achat du Seurat, avec ce que je t'enverrai
il faudra chercher à faire encore un échange
avec Seurat aussi.
Tu sens bien que si Tersteeg se met avec toi pour cette affaire,
à vous deux vous pourrez bien persuader Boussod Valadon d'accorder
sérieusement un crédit pour les achats nécessaires. Mais c'est pressé,
puisque sans cela d'autres marchands vous couperaient l'herbe sous le pied.
J'ai fait la connaissance d'un artiste danois [Mourier
Peterson] qui parle d'Heyerdahl et d'autres gens du Nord,
de Kroyer, etc. Ce qu'il fait est sec, mais très consciencieux, et
il est encore jeune. A vu dans le temps l'exposition des impressionnistes,
rue Laffitte. Il va probablement venir à Paris pour le Salon, et
désire faire un tour en Hollande pour voir
les musées.
Je trouve très bien que tu mettes les Livres
aussi aux Indépendants, faudra donner comme titre de cette
étude: « Romans parisiens. »
Je serais si heureux de savoir que tu aies réussi de persuader
Tersteeg, enfin patience.
J'ai été obligé de prendre pour 50 fr. de marchandises lorsque
ta lettre est arrivée. Cette semaine je mettrai 4 ou 5 choses en train.
Je pense journellement à cette association d'artistes et le plan
s'est encore développé dans mon esprit, mais il faudrait que Tersteeg
en soit et beaucoup dépend de cela.
Actuellement les artistes se laisseraient probablement persuader
par nous, mais nous ne pouvons pas aller plus avant, avant d'avoir le secours de Tersteeg.
Sans cela on serait seul à entendre du matin jusqu'au soir les lamentations
de tous, et chacun en particulier viendrait incessamment
demander des explications, d'axiomes, etc.
Serais peu étonné que Tersteeg serait d'opinion que l'on ne puisse
se passer des artistes du Grand Bd., et qu'il
avise de les persuader à prendre l'initiative d'une
association en donnant des tableaux, devenant propriété générale, cessant
de leur appartenir en propre. A une proposition de leur part le
Petit Boulevard, selon moi, serait moralement
obligé d'adhérer.
Et ces messieurs du Gd. Boul. ne garderont leur prestige actuel
qu'en allant au-devant des critiques un peu fondées des petits
impressionnistes, qui diront:
Vous mettez tout dans votre poche
Ils peuvent très bien y répondre: mais non, nous sommes
au contraire les premiers à dire: Nos tableaux
appartiennent aux artistes.! Si de Gas, Monet, Renoir,
Pissarro disent cela, laissant même beaucoup de marge pour
leurs individuelles conceptions quant à mettre cela en pratique,
ils pourraient dire pis, à moins de ne rien dire et de laisser
aller les choses.
t. à t. Vincent
At this time, Vincent was 34 year oldSource: Vincent van Gogh. Letter to Theo van Gogh. Written 10 March 1888 in Arles. Translated by Robert Harrison, edited by Robert Harrison, number 468. URL: https://www.webexhibits.org/vangogh/letter/18/468-fr.htm.
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