Chers frère et soeur,
La journée de dimanche m'a laissé un souvenir bien agréable, ainsi
on sent bien qu'on est moins loin les uns des autres, et j'espère
que nous nous reverrons souvent. Depuis dimanche
j'ai fait deux études de maisons dans la verdure; à côté
de la maison où je suis il est venu s'établir toute une colonie d'Américains
qui font de la peinture, mais je n'ai pas encore vu
ce qu'ils font.
Réflexion faite, pour ce qui est de prendre cette maison ou bien une autre,
voici ce qu'il y a. Ici je paye un franc par jour pour mon coucher,
donc si j'avais les meubles, la différence de 365
francs ou de 400 ne serait pas à mon avis d'importance très grande,
et alors j'aimerais bien que vous autres eussiez en même temps que moi
un pied à terre à la campagne.
Mais je commence à croire que je doive considérer les
meubles comme perdus.
Mes amis où ils sont, à ce que je m'imagine, ne se
dérangeront pas pour me les envoyer, moi n'étant plus là.
C'est surtout la paresse traditionnelle et la vieille histoire traditionnelle,
que de leur côté les étrangers de passage laissent des meubles
provisoires à l'endroit où ils sont.
Mais je viens encore de leur écrire pour la troisième fois que j'en
ai danger, j'ai dit dans ma lettre que si je n'avais pas de leurs
nouvelles je me sentirais obligé de leur envoyer un louis pour
les frais d'expédition. Probable que cela fera de l'effet, mais c'est une impolitesse.
Que veux-tu, dans le Midi ce n'est pas tout à fait comme dans le
Nord, les gens y font ce qu'ils veulent et ne se donnent pas
le mal de réfléchir ou d'être prévenants pour les autres,
si l'on n'est pas là.
Du moment qu'on est à Paris, on est comme dans l'autre monde,
et je crois qu'ils ne se dérangeront probablement pas, à plus
forte raison qu'ils n'aimeront pas à se mêler davantage
de cette affaire dont ils ont beaucoup causé à Arles.
De mon côté aussi cela me fait de la peine de remuer tout
cela en écrivant aux gens.
Je trouvais que le petit a bonne mine et vous autres aussi;
il faudra vite revenir.
De messager, il n'y en a pas d'ici directement à Paris, mais il y en
a de Pontoise. Or de Pontoise à ici il y en a tous les
jours. Veuille donc prier le père Tanguy de se mettre incontinent
à l'oeuvre pour déclouer toutes les toiles qui sont sur châssis
là-haut dans la mansarde. Il fera des rouleaux des toiles, des
paquets des châssis.
Alors ou bien j'enverrai le messager de Pontoise, ou bien je
viendrai dans une quinzaine une fois avec M. Gachet en
prendre une partie.
J'en ai vu chez toi aussi dans le tas qui est sous le lit,
beaucoup que je peux retoucher, je crois, à leur avantage. Je regrette
bien ne pas voir l'exposition Raffaëlli; surtout je voudrais
aussi voir ton arrangement de ces dessins sur de la cretonne, comme
tu disais. Un jour ou un autre je crois que je trouverai
moyen de faire une exposition à moi dans un café, je ne détesterais
pas d'exposer avec Chéret, qui doit avoir des idées là-dessus
certainement. A bientôt, je vous serre bien la main, vous souhaitant
prospérité surtout avec le petit,
b. à v. Vincent
At this time, Vincent was 37 year oldSource: Vincent van Gogh. Letter to Theo van Gogh. Written c. 10 June 1890 in Auvers-sur-Oise. Translated by Robert Harrison, edited by Robert Harrison, number 640. URL: https://www.webexhibits.org/vangogh/letter/21/640-fr.htm.
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