Mon cher Theo,
Merci beaucoup de ta lettre d'avant-hier et du billet
de 50 fr qu'elle contenait. par exemple comme
j'en ai un entre les mains - je ne parle donc qu'en me basant sur
le même fait qui existe de part et d'autre - je ne vois seulement
pas la raison pourquoi l'un aurait à l'autre des reproches bien sérieux à faire.
Y a-t-il une différence dans les factures, là c'est
ce qui m'intéresserait davantage. Et puis dans les couleurs
il y a un tripotage comme dans les vins, comment
pouvoir juger juste, lorsque comme moi on ignore la chimie. Je trouverais néanmoins fort bien,
que dans le cas où le père Tanguy se donnerait pour nous un mal
extraordinaire en y mettant son temps et sa peine pour emballer
et expédier les toiles qui sont dans sa mansarde, qu'alors tu lui prendrais
de la couleur chez lui, fût-elle un peu plus mauvaise que l'autre.
Ce ne serait que comme de juste. Mais ce qu'il dit d'une
différence dans les tubes, je le répète c'est pure imagination de sa
part, et la raison pourquoi qu'on allait chez Tasset, c'est que les
couleurs de ce dernier sont en général moins fades.
Maintenant c'est pas important cette différence, et si Tanguy met de la
bonne volonté pour emballer les toiles en dépôt chez lui - juste qu'il
ait la commande pour les couleurs.
C'est avec plaisir que j'ai fait connaissance avec le Hollandais,
qui est venu hier, il a l'air bien trop gentil pour
faire de la peinture dans les conditions actuelles. Si néanmoins il persiste
à vouloir en faire, je lui ai dit qu'il ferait bien d'aller en Bretagne
avec Gauguin et de Haan, parce qu'il vivra là-bas
de 3 francs par jour au lieu de 5 francs et aura de la
bonne compagnie. Que moi aussi j'espère bien les y rejoindre,
puisque Gauguin y va. J'en ai été bien content d'apprendre qu'ils
vont renouveler leur tentative là-bas.
Certes tu as raison que cela vaut mieux pour Gauguin que de
rester à Paris. Très content aussi de ce qu'il trouve bien la tête
d'Arlésienne en question. J'espère bien faire quelques
eaux-fortes de motifs du Midi, mettons 6, puisque je peux sans frais
les imprimer chez M. Gachet, qui veut bien les tirer pour rien,
si je les fais.C'est certes une chose qu'il faut
faire, et on fera de sorte que ça forme en quelque sorte
suite à la publication Lauzet Monticelli, si
tu trouves bien. Et Gauguin probablement gravera quelques toiles
de lui en combinaison avec moi. Son tableau qui t'appartient
et surtout pour le reste des choses de la Martinique.
Lesquelles planches M. Gachet nous tirera également. Bien entendu
on lui laissera liberté d'en tirer des exemplaires pour lui. M. Gachet
viendra un jour voir mes toiles à Paris et alors nous en choisirions
pour la gravure.
Dans ce moment j'ai deux études en train, l'une un bouquet de
plantes sauvages, des chardons, des épis, des feuilles différentes
de verdure. L'une presque rouge, l'autre très verte,
l'autre jaunissante.
La deuxième étude, une maison blanche dans la verdure, avec une étoile
dans le ciel de nuit et une lumière orangée à la fenêtre
et de la verdure noire et une note rose sombre. Voilà
tout pour le moment. J'ai une idée pour faire une toile plus importante
de la maison et du jardin de Daubigny, dont j'ai déjà
une petite étude.
J'étais bien content que Gauguin s'en aille avec de Haan
encore. Naturellement ce projet de Madagascar me paraît peu
possible à exécuter, j'aimerais encore mieux le voir partir
pour le Tonkin. Si cependant il allait à Madagascar, je serais
capable de l'y suivre, car il faudrait y aller à deux
ou trois. Mais nous ne sommes pas encore là. Certes l'avenir
est bien dans les tropiques pour la peinture, soit à Java, soit à la Martinique,
le Brésil ou l'Australie, et non pas ici, mais tu sens qu'à moi il ne m'est
pas prouvé que toi, Gauguin ou moi, soyons ces gens d'avenir-là.
Mais certes encore une fois, là et non pas ici un jour probablement
proche on verra travailler des impressionnistes, qui se tiendront avec Millet,
Pissarro. Croire à cela c'est naturel, mais y aller sans les moyens
d'existence et de rapport avec Paris en coup de tête, alors que des
années durant on s'est rouillé en végétant ici.
Bon. Merci encore une fois et bonne poignée de main à toi et
ta femme et bonne santé au petit, que je languis
bien de revoir.
b. à t. Vincent
At this time, Vincent was 37 year oldSource: Vincent van Gogh. Letter to Theo van Gogh. Written 17 June 1890 in Auvers-sur-Oise. Translated by Robert Harrison, edited by Robert Harrison, number 642. URL: https://www.webexhibits.org/vangogh/letter/21/642-fr.htm.
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