Mon cher Theo & chère Jo,
Je viens de recevoir la lettre dans laquelle tu dis que l'enfant
est malade; je voudrais bien venir vous voir et ce qui
me retient, c'est la pensée que je serais encore plus impuissant
que vous autres dans le cas donné de chagrin. Mais je sens
combien cela doit être très éreintant et voudrais pouvoir donner un coup de main.
En venant de but en blanc, je crains d'augmenter la
confusion. De tout mon coeur je partage vos inquiétudes pourtant. C'est
bien dommage que chez M. Gachet la maison est si encombrée de toutes
sortes de choses. Sans cela je crois que ce serait un bon
plan de venir loger ici - chez lui - avec le petit,
au moins pour un bon mois - je crois que l'air de campagne
fait énormément de l'effet.Dans la rue ici il y a des gosses
nés à Paris et réellement maladifs - qui pourtant vont bien.
Venir ici à l'auberge se pourrait aussi, c'est vrai.
Pour que tu ne sois pas trop seul, je pourrais moi venir
chez toi pour une semaine ou quinzaine. Cela n'augmenterait
pas les dépenses.
Pour le petit, vrai, je commence à craindre qu'il
faudra lui donner de l'air et surtout le petit va-et-vient
des autres enfants d'un village. Sur Jo aussi qui partage
nos inquiétudes et hasards, je crois que de temps en temps il lui faut
prendre cette distraction de la campagne.
Une lettre de Gauguin assez mélancolique, il parle vaguement
d'être bien décidé pour Madagascar, mais si vaguement
qu'on voit bien qu'il ne pense à cela que parce qu'il ne sait réellement
pas à quoi d'autre penser.
Et l'exécution du plan me parait presque absurde.
Voici trois croquis - l'une d'une figure de paysanne, grand chapeau
jaune avec un noeud de rubans bleu céleste, visage très
rouge, caraco gros bleu à pointillé orangé, fond d'épis de blé.
C'est une toile de 30, mais c'est bien un peu grossier
je crains. Puis le paysage en longueur avec
les champs, un motif comme serait de Michel - mais alors la coloration
est vert tendre, jaune et bleu vert.
Puis un sous-bois des troncs de peupliers violets,
qui perpendiculairement comme des colonnes traversent le paysage,
la profondeur du sous-bois est bleu, et sous les grands troncs
la prairie fleurie, blanche, rose, jaune, verte, longues
herbes roussies et fleurs.
Les gens d'ici à l'auberge ont resté dans le temps à Paris,
là ils étaient constamment indisposés, parents et enfants, ici ils n'ont
jamais rien du tout et surtout pas le plus petit,
qui est venu quand il avait 2 mois et alors la mère
avait du mal pour y donner à téter, tandis qu'ici presque aussitôt tout
cela est allé bien. D'un autre côté toi tu travailles toute la journée et
à présent probablement ne dors-tu guère. Je croirais volontiers que Jo
aurait deux fois plus de lait ici et qu'alors qu'elle viendrait ici,
on pourrait se passer des vaches, ânes et autres
quadrupèdes. Et pour Jo, pour que dans la journée elle ait de la
compagnie, ma foi elle pourrait encore aller loger juste en face
de chez le père Gachet, peut-être te rappelles-tu qu'il y a une auberge
juste en face en bas de la pente ?
Que veux-tu que je dise quant à l'avenir peut-être, peut-être,
sans les Boussod ?
Ce sera comme ce sera, tu ne t'es pas épargné du mal
pour eux, tu leur as servi avec une fidélité exemplaire
tout le temps.
j'aime encore beaucoup l'art et la vie, mais quant à jamais
avoir une femme à moi, je n'y crois pas très fort. Je crains plutôt
que vers mettons la quarantaine - mais ne mettons rien - je déclare
ignorer mais absolument, absolument, quelle tournure cela puisse encore prendre.
Mais je t’écris de suite que, pour le petit, je crois qu'il ne
faut pas t'inquiéter outre mesure, si c'est qu'il fait ses dents,
eh bien pour lui faciliter la besogne peut-être pourrait-on
le distraire davantage ici où il y a des enfants,
des bêtes, des fleurs et du bon air.
Je vous serre bien la main à toi et à Jo en pensée et
embrasse le petit.
t. à v. Vincent.
I1 viendra probablement te voir un Anglais, Australien, nommé Walpole Brooke,
demeurant 16, rue de la Grande Chaumière - je lui ai
dit que tu lui indiquerais une heure où il pourrait
venir voir mes toiles, qui sont chez
toi.
I1 te montrera probablement de ses études, qui sont
encore assez ternes, mais il observe pourtant la nature.
Il a été ici à Auvers durant des mois et nous sortions
quelquefois ensemble. Il a été élevé au Japon, on ne le dirait pas
en voyant sa peinture - mais cela pourrait venir.
Merci de l'envoi de couleurs, du billet de 50 fr. et
de l'article sur les Indépendants.
[Sketches enclosed with letter: Girl with Straw Hat,
Wheat Field and Undergrowth with Two Figures.]
At this time, Vincent was 37 year oldSource: Vincent van Gogh. Letter to Theo van Gogh. Written 2 July 1890 in Auvers-sur-Oise. Translated by Mrs. Johanna van Gogh-Bonger, edited by Robert Harrison, number 646. URL: https://www.webexhibits.org/vangogh/letter/21/646-fr.htm.
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