Relevant paintings: "Old vinyard with peasant woman," Vincent van Gogh [Enlarge]
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Mon cher Théo et chère Jo,
De ces premiers jours-ci, certes j'aurais dans des conditions
ordinaires espéré un petit mot de vous déjà.
Mais considérant les choses comme des faits accomplis - ma foi - je
trouve que Théo, Jo et le petit sont un peu sur les dents et
d'ailleurs moi aussi suis loin d'être arrivé
à quelque tranquillité.
Souvent, très souvent je pense à mon petit neveu - est-ce qu'il va bien ?
Jo voulez-vous me croire - si cela vous arrive de nouveau ce que j'espère, d'avoir encore
d'autres enfants - ne les faites pas en ville, accouchez à la
campagne et restez-y jusqu'à ce que l'enfant ait 3 ou 4
mois. A présent il me semble que l'enfant n'ayant encore
que 3 mois; déjà le lait devient rare,
déjà vous êtes,comme Théo,fatiguée trop. Je ne veux pas dire du
tout éreintée, mais enfin les ennuis prennent trop de place,
sont trop nombreux et vous semez dans les épines.
C'est pourquoi que je vous donnerais à penser de ne pas
aller en Hollande cette année-ci, c'est très, très coûteux
toujours le voyage, et jamais cela a fait du bien. Si, cela fait du bien si
vous voulez à la mère, qui aimera à voir le petit - mais elle comprendra
et préférera le bien-être du petit au
plaisir de le voir.
D'ailleurs elle n'y perdra rien, elle le verra plus tard. Mais
- sans oser dire que ce soit assez - quoi qu'il en soit,
il est certes préférable que père, mère et enfant
prennent un repos absolu d'un mois à la campagne.
D'un autre côté, moi aussi, je crains beaucoup d'être ahuri et
trouve étrange que je ne sache aucunement sous
quelles conditions je suis parti - si c'est comme dans le temps à 150
par mois en trois fois. Théo n'a rien fixé et donc pour commencer
je suis parti dans l'ahurissement.Y aurait-il moyen de se revoir
encore plus calme - je l'espère, mais le voyage
en Hollande je redoute que ce sera un comble pour nous
tous.
Je prévois toujours que cela fait souffrir l'enfant plus tard
d'être élevé en ville. Est-ce que Jo trouve cela exagéré, je
l'espère, mais enfin je crois que pourtant il faut
être prudent.
Et je dis ce que je pense, parce que vous comprenez bien que je
prends de l'intérêt à mon petit neveu et tiens à son
bien-être; puisque vous avez bien voulu le nommer après moi,
je désirerais qu'il eût l'âme moins inquiète que la mienne,
qui sombre.
Parlons maintenant du Dr Gachet. J'ai été le voir avant-hier,
je l'ai pas trouvé.
De ces jours-ci je vais très bien, je travaille dur,
ai quatre études peintes et deux dessins.
Tu verras un dessin d'une vieille vigne avec une figure
de paysanne. Je compte en faire une grande toile.
Je crois qu'il ne faut aucunement compter sur le Dr Gachet. D'abord
il est plus malade que moi à ce qu'il m'a paru, ou
mettons juste autant, voilà. Or lorsqu'un aveugle mènera un autre aveugle,
ne tomberont-ils pas tous deux dans le fossé ?
Je ne sais que dire. Certes, ma dernière crise, qui fut
terrible, était due en considérable partie à l'influence
des autres malades, enfin la prison m'écrasait et
le père Peyron n'y faisait pas la moindre attention, me laissant
végéter avec le reste corrompu profondément.
Je peux avoir un logement, 3 petites pièces à 150 francs par an.
Cela, si je ne trouve pas mieux, et j'espère trouver mieux,
en tout cas est préférable au trou à punaises
chez Tanguy et d'ailleurs j'y trouverais un abri moi-même et
pourrais retoucher les toiles, qui en ont besoin. De telle façon les tableaux
s'abîmeraient moins et en les tenant en ordre
la chance d'en tirer quelque profit augmenterait.
Car - je ne parle pas des miennes - mais les toiles
Bernard, Prévot, Russell, Guillaumin, Jeannin,
qui étaient égarées là, c'est pas leur place.
Or des toiles comme celles-là - encore une fois des miennes je ne parle pas -
c'est de la marchandise, qui a et gardera une certaine valeur et la
négliger c'est une des causes de notre gêne mutuelle.
Cela m'attriste bien un peu de avoir insister sur ce que tu m'envoies
une partie au moins du mon mois dès la commencement. Mais je ferai
encore mon possible de trouver que tout va bien.
I1 est certain, je crois que nous songeons tous au petit,
et que Jo dise ce qu'elle veut. Théo comme
moi j'ose croire se rangeront à son avis. Moi je ne peux
dans ce moment que dire que je pense qu'il nous faut du repos à tous. Je me sens -
raté. Voilà pour mon compte - je sens que c'est là le sort que
j'accepte et qui ne changera plus.
Mais raison de plus, mettant de côté toute ambition, nous pouvons
des années durant vivre ensemble sans nous ruiner de part ou d'autre. Tu vois
qu'avec les toiles qui sont encore à Saint-Rémy,
il y en a au moins 8 avec les 4 d'ici, je cherche à ne pas
perdre la main.Cela c'est absolument pourtant la vérité, c'est
difficile d'acquérer une certaine facilité de produire et, en cessant
de travailler, je la perdrais bien plus vite et plus facilement,
que cela m'ait coûté de peines pour y arriver. Et la perspective
s'assombrit, je ne vois pas l'avenir heureux du tout.
Écris-moi par retour, si tu n'as pas encore écrit,
et bonnes poignées de main en pensée, j'espérerais qu'il y eût
une possibilité de se revoir bientôt à têtes plus
reposées.
Vincent
At this time, Vincent was 37 year oldSource: Vincent van Gogh. Letter to Theo van Gogh. Written 10 July 1890 in Auvers-sur-Oise. Translated by Robert Harrison, edited by Robert Harrison, number 648. URL: https://www.webexhibits.org/vangogh/letter/21/648-fr.htm.
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